Lorsque
j'ai rencontré Jean Bertellin, il était proche de la retraite et
avait passé toute sa vie à voyager d'une planète à l'autre en
qualité d'ethnologue intergalactique pour le compte du Centre
Culturel Mondial.
La
première mission que lui avait confiée le CCM, voici de nombreuses
années, avait orienté toute sa carrière : elle avait consisté à
étudier la vie sentimentale des habitants de la planète Elane.
L'étude que Jean Bertellin ramena de ce séjour chez les Elaniens
fut tellement brillante qu'il devint bientôt le célèbre
spécialiste que l'on connaît.
Ses
écrits scientifiques sur la vie sentimentale des extraterrestres
sont lus dans l'univers tout entier, et enseignés dans la plupart
des universités.
J'ai
été son assistant durant la dernière étude qu'il effectua sur la
planète Glacia. Le climat rude de ce monde nous obligeant à passer
de longues soirées au coin du feu, j'eus la chance d'entendre le
récit de la vie de Jean de sa propre bouche, et, maintenant qu'il
nous a quittés, j'ai décidé de retranscrire ces récits
passionnants.
Toutes
les histoires que vous allez lire sont rigoureusement authentiques.
Je n'ai fait que donner une forme romancée aux aventures qui se sont
succédées tout le long de l'existence de cet homme admirable.
Mon
but, en écrivant ces nouvelles est aussi d'apporter au profane une
connaissance sur la vie sentimentale des extraterrestres sans qu'il
soit obligé de se plonger dans des archives scientifiques dont le
style et les termes techniques rendent souvent la lecture difficile,
voire hermétique. Et je pense que la compréhension de ces
extraordinaires m?urs étrangères ne peut que nous permettre de
mieux comprendre notre existence terrienne.
Le
vaisseau spatial de Jean Bertellin arriva sur la planète Elane avec
un mois et demi de retard. Des perturbations électromagnétiques
avaient bloqué l'appareil lors d'une escale au centre de la galaxie.
Jean
se rongeait les sangs d'impatience tandis que le pilote dirigeait les
man?uvres d'atterrissage pour poser en douceur la fusée sur la piste
du spatioport car il ne savait pas ce qui l'attendait sous les nuages
bas qui couvraient la planète.
Elane
avait été découverte peu de temps auparavant par les grands
radiotélescopes installés aux frontières de l'univers connu.
Lorsque les machines signalèrent une présence de vie, les
ingénieurs avaient aussitôt entamé les procédures habituelles de
contact. Ces procédures apportaient en fait peu de renseignements
sur la civilisation contactée. Elles se bornaient à des échanges
sémantiques simples destinés à apprendre les rudiments de langage
qui allaient permettre la communication.
La
seconde étape consistait à envoyer en mission un ethnologue
intergalactique spécialisé dans l'étude des nouvelles races
extraterrestres. C'était le rôle de Jean, et son voyage vers Elane
était sa première mission. Il venait d'obtenir son diplôme après
douze années d'études intensives dans les meilleures universités
de la Galaxie Centrale et avait aussitôt été embauché par le
Centre Culturel Galactique.
Le
CCM manquait de personnel qualifié car le nombre des nouvelles races
découvertes par les radiotélescopes allaient en grandissant de
manière exponentielle au fur et à mesure que les limites de
l'univers connu étaient repoussées. C'est la raison pour laquelle
il se retrouva en mission à peine quelques mois après son entrée
dans l'équipe de recherche du Centre.
Ce
qu'il savait de la planète Elane était très succinct. La taille du
globe était pratiquement égale à celle de la Terre et son
atmosphère en tout point identique. Ces renseignements étaient les
premiers que les ingénieurs tentaient de récupérer afin de
connaître les équipements nécessaires à la survie des
missionnaires, ainsi que le coût de l'opération. Ils posaient
ensuite quelques questions fondamentales sur l'organisation de cette
civilisation inconnue, pour essayer de déterminer le degré de
bellicosité des extraterrestres. En l'occurrence, les Elaniens
semblaient tout à fait pacifistes et c'est sans doute pourquoi Jean
s'était vu confier cette tâche malgré son inexpérience. La
planète était dirigée par un gouvernement unique et le vaisseau
spatial était en train d'amorcer sa descente vers la Capitale :
Dankos. Il n'en savait pas plus.
La
fusée sortit enfin du plafond nuageux et Jean découvrit la ville le
c?ur battant. La beauté des couleurs lui coupa le souffle : dès le
premier regard il se dégageait une harmonie magique de cette ville.
Les formes des bâtiments semblaient se fondre les unes aux autres et
la couleur de chaque toit semblait découler de celle du bâtiment
voisin. Rien ne blessait la vue, tout n'était que rondeur et
douceur. Les artères formaient des dessins géométriques dont le
sens, bien sûr, lui échappait, mais égalaient en beauté les
?uvres des plus grands artistes terrestres.
Jean
poussa un soupir d'aise et s'enfonça dans son fauteuil en fermant
les yeux pour se préparer à la rencontre de ce peuple inconnu qui
le fascinait déjà.
Il
était attendu par un ambassadeur Elanien, Vor Venan, avec lequel il
n'avait eu qu'un bref contact radio pour lui annoncer son retard.
Celui-ci ne semblait pas avoir été offusqué de ce délai. Il
l'attendait au bas de la passerelle et Jean eut aussitôt un grand
élan de sympathie pour cet homme. C'était un personnage de haute
stature, vêtu d'habits colorés et son visage était orné d'un
sourire chaleureux. Jean nota en pensée que la morphologie des
Elaniens ne semblait pas différer de celles des Terriens : la peau
de Vor Venan était légèrement bleutée et ses yeux tiraient sur
l'orange mais le reste de son anatomie aurait pu le faire passer pour
un habitant d'un pays nordique de la Terre.
-"
Bonjour Jean, je suis Vor Venan.", lui dit-il en tendant les
deux mains pour saisir les siennes, "Je vous souhaite la
bienvenue à Dankos."
-"
Je vous remercie.", lui répondit Jean, " Je vous prie
encore de m'excuser pour ce retard fâcheux. J'espère que cela n'a
pas trop bouleversé votre emploi du temps."
-
" Ne vous inquiétez pas pour cela. L'imprévu apporte souvent
du piquant à l'existence.", lui dit Vor Venan tout en le
dirigeant vers un véhicule stationné non loin de la fusée. "Ceci
dit, votre arrivée coïncide avec un évènement qui fait que je ne
pourrai pas m'occuper de vous aujourd'hui... : ma fille se marie ce
matin et je dois partir à la cérémonie aussitôt après vous avoir
déposé dans vos appartements."
-
" Surtout, ne vous inquiétez pas pour moi.", lui dit Jean,
" Une petite journée de repos me fera du bien après ce long
voyage".
-"
C'est ce que je me suis dit.", rétorqua Vor Venan en prenant
place à ses cotés dans le véhicule. " J'avais tout d'abord
pensé à vous inviter à la cérémonie, mais le voyage a du vous
fatiguer..."
-"
A vrai dire, pas du tout.", répondit Jean que l'invitation
tentait, " Et je serais très honoré d'assister au mariage de
votre fille, si votre proposition tient toujours".
-"
Bien sûr, ce sera avec un immense plaisir, et bien allons-y."
Vor Venan se tourna vers le chauffeur et lui lança " Allons
directement au Temple.", puis il regarda vers Jean avec un grand
sourire : " Je suis enchanté de vous compter parmi mes
invités."
Le
véhicule s'éleva en douceur à un mètre du sol et se mit à
glisser le long des artères de la cité. Sa vitesse était très
grande et Jean ne vit pas grand-chose des constructions si ce n'est
le chatoiement harmonieux des couleurs.
Ils
descendirent du véhicule au bas des marches du Temple. Une foule de
personnes y était présente.
-"Je
n'ai pas le temps de vous faire les présentations pour l'instant",
lui glissa Vor Venan tout en se dirigeant vers ses invités," Le
prêtre nous attend, et il doit s'impatienter. Mais ne vous sentez
surtout pas coupable.", ajouta-t-il en voyant l'expression du
visage de Jean, "Je suis moi-même constamment en retard."
Ils
pénétrèrent tous dans le temple et la cérémonie commença
aussitôt.
Une
fois assis, Jean se laissa aller à la magie du lieu. Il se trouvait
sous une immense coupole de vitraux multicolores. Les faisceaux du
soleil d'Elane passaient au travers de ces prismes et faisaient
danser des ondes de couleurs mouvantes au-dessus de leurs têtes. Le
prêtre se tenait devant un autel de cristal dont les moirages
changeaient continuellement. Trois personnages étaient campés
devant lui : la fille de Vor Venan, son futur mari et leur témoin.
La
cérémonie ne fut pas très longue et ressemblait beaucoup aux
cérémonies de la plupart des religions terriennes. Ce fut une
suite de prières et de chants qui résonnèrent magnifiquement sous
la voûte. La dernière partie fut consacrée aux serments des époux
:
-"Alia
Venan, " dit le prêtre en se tournant vers la jeune femme, "
Désirez-vous prendre pour époux Kar Devon ici présent ?".
Et
le oui de la jeune fille résonna sous la voûte.
Le
prêtre se tourna vers le jeune homme : "Kar Devon, désirez-vous
prendre pour épouse Alia Venan ici présente ?"
La
réponse de Kar Devon fut un oui ferme et sonore.
Jean
vit alors avec stupéfaction le prêtre se tourner vers celui qu'il
avait pris pour un témoin et lui poser la question suivante :
-"Don
Deram, désirez-vous prendre pour couple Alia Venan et Kar Devon ici
présents ?".
Et
le troisième personnage répondit par l'affirmative en tournant vers
le couple un regard plein d'amour. Le prêtre s'adressa alors une
dernière fois aux jeunes mariés en leur disant cette phrase qui fit
soudain comprendre à Jean que les Elaniens n'étaient peut-être pas
si semblables aux Terriens qu'il le pensait :
-"Alia
et Kar, désirez-vous prendre pour médian Don Deram ici présent ?".
Et
le couple répondit : "Oui" à l'unisson.
Jean
passa les jours qui suivirent à visiter la planète en compagnie de
Vor Venan qui se révéla être un guide charmant et très
compétent. Les deux hommes se prirent très vite d'amitié et les
journées passaient vite, trop vite au goût de Jean dont la mission
ne devait durer que deux mois. Certes, le but était de faire une
pré-étude tout à fait générale de la planète, mais celle-ci
était tellement riche en beauté que Jean s'y sentait
merveilleusement à l'aise.
Vor
Venan était non seulement un bon guide mais c'était aussi un hôte
parfait. En effet, les appartements de Jean se trouvaient au dernier
étage de la grande demeure qui abritait toute la famille Venan.
Celle-ci se composait de Vor, de Sabile son épouse, de Chan leur
médian et de leurs sept enfants : deux garçons, deux médians et
trois filles dont l'aînée avait quitté le cocon familial le
lendemain de la cérémonie de mariage.
C'était
une famille unie et Jean se passionnait beaucoup plus à l'étude de
leur comportement qu'à celui des richesses de la planète.
Les
tâches étaient réparties entre les trois parents.
Vor,
le père, était le seul à avoir un emploi. Il travaillait au
Ministère des Affaires Extraterrestres et c'est dans le cadre de
cette fonction qu'il gérait la visite de Jean sur la planète Elane.
Lorsqu'il retrouvait sa famille, il ne s'occupait que très peu des
tâches ménagères : il se réfugiait souvent dans un bureau-atelier
situé sous la maison, où il créait avec passion, et un grand sens
de l'art, de magnifiques sculptures de verre coloré.
Son
épouse, Sabile, s'occupait essentiellement des enfants. Elle
veillait sur leur santé et leur éducation avec toute l'attention
d'une mère. Elle les conduisait à l'école, chez leurs amis, à des
spectacles... c'était une femme tourbillonnante qui ne tenait pas en
place. Elle était petite et très jolie, avec des rondeurs très
féminines.
Chan,
leur médian, s'occupait essentiellement de la maison et de la
cuisine. Il le faisait avec beaucoup de goût : la décoration des
pièces était un régal pour les yeux et la saveur de ses plats
enchantait le palais.
Jean
employait le genre masculin pour parler de Chan puisqu'il n'y a pas
de troisième genre en français.
Car
il s'agissait bien de cela : les médians n'étaient ni homme ni
femme et leur physique ne pouvait pas prêter à confusion. C'étaient
des êtres minces et élancés mais qui semblaient avoir une grande
force. Leur peau, très claire, ne se ridait jamais, même en prenant
de l'âge, et leur visage était éclairé par des yeux immenses qui
paraissaient ne jamais ciller. Ils portaient tous une coiffe qui leur
enserrait le crâne et aucun cheveu n'en dépassait
Mais
le plus étrange chez ces êtres venait du fait que leur cou pouvait
tourner à 360° ! Le jour de son arrivée, Jean pénétra dans la
cuisine en compagnie de Vor qui désirait faire les présentations et
lorsque Chan, qui était aux fourneaux, tourna la tête vers eux sans
bouger son buste, Jean eut du mal à retenir un cri de
stupéfaction.Il était toujours difficile de savoir si le médian
était de dos ou de face car son vêtement était constitué d'une
grande chasuble droite qui cachait sa morphologie. Mais Jean
s'habitua très vite à cet être qui se déplaçait dans un
glissement, comme porté par un nuage à travers les pièces de la
maison. Chan avait une grande intelligence et une culture
inépuisable. Il semblait deviner les moindres pensées et
communiquait avec sensibilité. Ses dons artistiques ne se limitaient
pas à la décoration de la maison et à la succulence de ses plats :
il chantait d'une voix magnifique tout en vaquant à ses occupations.
C'était un être dont la simple compagnie apportait la paix.
Jean
s'entendait bien avec lui, ainsi qu'avec tout le reste de la famille.
Il prenait tous ses repas avec eux et l'ambiance était chaleureuse
autour de la table où les conversations allaient bon train.
-"Jean,
avez-vous des enfants sur Terre ? ", lui demanda Vor Venan au
cours du repas du soir, le troisième jour de sa mission.
-"
Non. ", lui répondit Jean. " Fort heureusement je n'ai pas
d'enfants, il me serait difficile d'avoir une vie de famille avec le
métier que je fais, et l'occasion de me marier n'a pas encore croisé
mon destin."
-"
Oui bien sûr. ", répondit Vor en souriant. " Et comme dit
le proverbe : ' Il faut être trois pour fonder une famille '. "
-"
Sur Elane, il faut être trois, mais sur Terre il faut être deux car
le noyau familial est composé du père, de la mère et des enfants.
", répondit Jean impulsivement.
Sa
phrase fit l'effet d'une bombe et provoqua un court silence de
stupéfaction autour de la table. Vor rompit ce silence en lui
demandant d'une voix mal assurée :
-"
Vous voulez dire que vous n'avez pas de médians sur Terre ? "
Et
lorsque Jean répondit par la négative, le plus jeune des fils se
leva en le montrant du doigt et en chantant avec ironie :
-"
Hou le déviant ! Bou le déviant !"
Son
père le fit taire avec une brutalité qui fit comprendre à Jean à
quel point le sujet était sensible. Vor envoya son fils dans sa
chambre et le repas se termina dans un silence poli mais glacial.
Après
le repas, Vor s'excusa de l'agressivité de son fils en ces termes :
-"Je
suis désolé Jean. Nous avons sympathisé tellement vite que j'en
avais presque oublié que vous venez d'une planète lointaine et que
vos m?urs sont certainement très éloignées des nôtres. Vous
savez, je suis nouveau à ce poste de secrétaire au Ministère des
Affaires Extraterrestres, et, à vrai dire, vous êtes le premier
contact réel entre un habitant d'une autre planète et un Elanien."
Il prit un air lamentable en disant cela, comme s'il était
responsable d'un drame, et Jean tenta de le rassurer :
-"
Je vous en prie Vor. Tout ceci n'est pas de votre faute. Je n'aurais
jamais dû parler ainsi durant le repas, sachant cette différence
entre nos deux races. Je me suis exprimé sans réfléchir et vous
m'en voyez navré."
-"Mais,
puisque ce sujet est abordé ", continua-t-il, " Ne
pourriez-vous pas m'indiquer des ouvrages qui me renseigneraient un
peu plus sur les médians ? Comme je vous l'ai dit, la race humaine
se divise en deux sexes et non pas en trois comme ici et je pense
qu'il faut que je ramène un minimum de documentation sur ce sujet à
mon retour sur Terre."
Installé
dans la bibliothèque, devant une pile d'ouvrages que Vor avait
sélectionnés pour lui, Jean se félicitait que ce mini-drame ait
finalement éclaté durant le repas. Il allait enfin trouver des
réponses aux questions qu'il se posait depuis trois jours sur la
sexualité des Elaniens.
En
les observant, il avait remarqué que Vor et Sabile ne se touchaient
jamais. Mais ils avaient par contre tous les deux de nombreux gestes
d'affection envers Chan, des caresses, des regards. Il avait aussi
remarqué qu'ils dormaient tous les trois dans la même chambre, et,
sans être voyeur, il aurait bien voulu savoir ce qui se passait sous
les draps du grand lit.
Ce
fut un ouvrage d'anatomie qui lui apporta le début de la réponse.
Jean resta sidéré pendant plusieurs minutes lorsqu'il découvrit
les images du corps des médians : ceux-ci avaient deux sexes. Leur
bas-ventre se terminait par un sexe de femme en tout point identique
à celui des femelles terriennes, et leur postérieur était orné
d'un pénis.
Jean
se mit à sourire en même temps qu'il recevait cette réponse à la
question qu'il se posait : ce qui se passait le soir dans la chambre,
sous les draps du trio, ne faisait plus de doute. Il se surprit même
à imaginer la quantité de positions possibles du kama-soutra
elanien et éclata de rire dans le silence de la bibliothèque
déserte. Puis il repris son sérieux et continua l'étude de
l'étonnante morphologie du médian qui se trouvait sur la planche
anatomique.
Il
était très intrigué par le fait que les deux sexes de l'être
étaient reliés par une sorte de canal. Cela se voyait très bien
sur une vue en coupe. Il décida de continuer à fouiller dans les
autres ouvrages que Vor avait triés pour lui afin de mieux
comprendre l'étrange nature des Elaniens.
Un
des livres contenait justement les conseils d'un sexologue, et c'est
là que Jean trouva tous les renseignements qu'il cherchait.
Les
médians portaient bien leur nom, car, en fait, ils servaient
d'intermédiaire entre l'homme elanien et la femme elanienne. Le
pénis du médian ne pouvait entrer en érection que lorsque son
sexe féminin était pénétré. De plus, sa jouissance était
complètement reliée à celle de l'homme. Le sperme était alors
acheminé de son sexe féminin à son sexe masculin par les
contractions du canal qui les reliait. Les spermatozoïdes
aboutissaient finalement dans le vagin de la femme pour aller la
féconder, de la même manière que sur Terre.
-"
La nature engendre parfois de bien curieux phénomènes.", se
dit Jean en rangeant les livres. Il était tard et la fatigue ne lui
permettait plus de garder la lucidité nécessaire à la lecture. "
Je me demande bien comment l'évolution a fait aboutir cette race.",
pensa-t-il encore en montant l'escalier qui conduisait à sa chambre.
Il s'endormit, la tête pleine de questions qu'il décida de poser à
Vor le lendemain.
Ils
se retrouvèrent justement seuls pour le petit-déjeuner. Ils avaient
dû se réveiller avant toute la famille pour aller visiter une autre
grande ville située au nord du pays.
-"
Je vous remercie vivement pour la documentation d'hier soir. ",
attaqua Jean presque aussitôt. " Ma compréhension sur votre
race s'est considérablement enrichie. J'aimerais cependant vous
poser une question à propos de la sexualité des Elaniens. Le
puis-je ? ".
-"
Mais bien sûr. ", répondit Vor, affable quoique un peu gêné,
" C'est mon rôle. Je suis là pour vous informer. Quelle est
cette question ? "
-"
Voilà. Est-ce que tous les mammifères de la planète Elane ont le
même comportement ? Je veux dire, est-ce que les animaux se
reproduisent aussi par l'intermédiaire d'animaux-médians ? "
Le
terme "animaux-médians" sembla terriblement choquer Vor,
mais il se contint et ne l'exprima que par un haussement de sourcil
et un petit raclement de gorge. Cependant cette réaction n'échappa
pas à Jean qui en prit bonne note.
-"
Certainement pas ! ", répondit-il un peu vivement, " C'est
l'apanage des êtres supérieurs de se reproduire ainsi. Les animaux
se reproduisent comme... comme...". Il hésitait à finir sa
phase.
-"
Comme moi, comme les Terriens. ", compléta Jean en souriant
pour dissiper la gêne. " C'est vraiment étrange que la nature
n'ait fait que cette exception sur Elane, vraiment étrange...",
continua-t-il en se frottant la joue.
-"
La nature n'y est pour rien... ", trancha Vor, mais il ne
termina pas sa phrase et continua en se levant de table : "
Il est l'heure de partir, je vous donnerai à notre retour un ouvrage
qui vous expliquera comment nous en sommes arrivés là. Allons-y
maintenant si nous ne voulons pas être en retard."
La
matinée commença par un voyage éclair en train. Celui-ci, composé
de longues voitures aux formes aérodynamiques, parcourut deux milles
kilomètres en à peine une demi-heure. Ils descendirent à Kantang,
la ville au Nord du pays qu'ils devaient visiter .
Confortablement
installé dans le véhicule qui les avait attendus à la gare, Jean
regardait la cité sans trop la voir. Il était absorbé dans ses
pensées. Les jours passés avaient été riches en rebondissements
de toutes sortes et la montagne d'informations qui assaillait ses
sens à chaque instant commençait à le fatiguer. Il finit même par
s'assoupir...
Ce
fut une suite de sons harmonieux qui le sortit de cette somnolence.
Jean ouvrit les yeux et regarda au dehors. Leur véhicule se
déplaçait à faible allure en flottant au-dessus du sol et le
quartier qu'il traversait ne ressemblait pas aux autres. Tout y était
bien plus coloré et de la musique résonnait à chaque coin de rue.
Il y régnait une atmosphère de fête qui lui fit demander à Vor :
-"
Que se passe-t-il ici ? Il y a une agréable ambiance de gaieté
qu'on ne voit pas ailleurs. C'est une foire ? Un marché ? "
-"
Non, pas du tout. ", répondit Vor presque hilare, "
Décidément, depuis hier soir le sujet ne nous lâche plus. C'est le
quartier des prostitués. "
Devant
l'intérêt que Jean sembla porter à cette réponse, Vor continua :
-"
Voulez-vous que je demande au chauffeur de s'arrêter ? Nous sommes
en avance sur l'horaire et nous pouvons faire une promenade dans le
quartier si vous le désirez. "
Tout
en déambulant dans les rues de ce quartier coloré, Jean remarqua
que Vor ne semblait éprouver aucune gêne à se trouver dans ce
lieu. Pourtant, le commerce qui y était pratiqué ne faisait pas de
doute : des médians, vêtus de grandes robes aux tissus bigarrés,
arpentaient les trottoirs en attendant les clients : et ces clients
étaient des couples de jeunes gens que l'on voyait ensuite monter,
en compagnie du prostitué médian de leur choix, dans les différents
hôtels qui foisonnaient alentours. Jean s'étonna :
-"
Excusez-moi de poser cette question ,Vor, mais vous ne semblez pas du
tout choqué par ce qui se passe ici ?. Est-ce une pratique courante
? "
Vor
eut un sourire nostalgique, comme au souvenir d'agréables moments du
passé et répondit :
-"
Bien sûr, c'est tout à fait courant, et toutes les villes de la
planète ont un quartier comme celui-ci. Lorsqu'un jeune homme et une
jeune femme tombent amoureux l'un de l'autre, c'est le seul moyen
qu'ils ont pour avoir des rapports sexuels avant de trouver le médian
qui partagera leur passion et les épousera. Pendant des siècles,
cette pratique était illicite mais tout le monde le faisait en
cachette. Maintenant les m?urs sont beaucoup plus libérales et je
trouve cela très bien. C'est un quartier agréable non ? "
Jean
l'approuva d'un hochement de tête. Il se sentait caressé par un
bain d'euphorie. Tous les visages qui l'entouraient exprimaient un
bonheur intense. Les couples déambulaient dans les rues, se
reposaient à des terrasses de restaurants en écoutant de la
musique, dansaient enlacés au son de petits orchestres installés çà
et là. C'était léger et enivrant.
Ils
marchèrent quelques temps en silence, en appréciant tous les deux
cette atmosphère voluptueuse puis se retrouvèrent auprès du
véhicule dans lequel ils prirent place. Ils quittèrent à regret le
quartier magique et continuèrent leur périple vers des activités
plus officielles.
Après
une épuisante fin de journée de visites, de présentations et de
cérémonies diverses, Jean goûtait le calme de la bibliothèque, la
paume de la main posée sur l'ouvrage promis par Vor. Il lui avait
donné après le repas, avant de se retirer dans ses appartements.
C'était un livre ancien, magnifiquement relié, que l'Elanien avait
déposé devant lui avec des précautions respectueuses, comme s'il
s'agissait d'une Bible. Jean garda les yeux fermés pendant quelques
temps pour évacuer le stress de la journée avant d'entamer la
lecture.
Le
livre portait le titre suivant " La vie d'Adran ". En voici
le résumé :
Adran,
fils de Kaloma et d'Isile, devint Roi d'Elane à la fin des périodes
de grande glaciation. Il hérita du trône à la mort de son père
qui avait régné avec amour sur son peuple pendant soixante-dix ans.
Adran
avait quarante ans lorsqu'il monta sur le trône et il était marié
depuis déjà dix-huit ans. Son mariage avait été prévu et
organisé comme la coutume l'exigeait : il avait épousé une
princesse de la dynastie des Morgraves ainsi que chacun de ses
ancêtres l'avait fait au cours des siècles précédents. L'épouse
avait été choisie par son père et ses conseillers et chaque jour
Adran se demandait ce qui avait guidé leur choix. Usul, son épouse
était d'une laideur tellement repoussante qu'Adran n'avait jamais pu
lui faire l'amour.
Son
mariage était donc stérile et c'était un grave problème car il
fallait absolument un héritier mâle pour le trône.
Mais
la famille d'Adran avait toujours été protégée par les maîtres
du destin et ce problème d'héritier fut résolu par une sorte de
miracle : l'arrivée au chateau d'un personnage hors du commun nommé
Valan.
Valan
avait été enrôlé comme conseiller auprès du roi Adran sur la
recommandation du Cercle des Anciens. C'était un être d'une
intelligence supérieure, d'une culture qui semblait inépuisable, et
surtout d'une beauté étrange et magnifique. Son étrangeté venait
de sa morphologie unique sur Elane : Valan était hermaphrodite. La
raison de cette anatomie était malheureusement dramatique : les
parents de Valan avaient été faits prisonniers pendant la cinquième
guerre mondiale. Ils avaient servi de cobayes à des manipulations
génétiques commandées par le dictateur fou qui régnait alors.
Mais Valan était loin d'être un monstre, et, pour une fois,
l'horreur avait engendré la beauté.
Adran
tomba amoureux de Valan au premier regard et ils vécurent un amour
passionné pendant de nombreuses années.
Mais
le plus miraculeux fut que Valan tomba amoureux de la reine Usul
malgré son extrême laideur, Il ne l'aimait pas pour son physique
mais pour son âme qui était la bonté même.
Et
petit à petit le premier trio de la planète se forma.
Valan
était bien sûr le premier médian et des enfants naquirent bientôt
de ce trio hors du commun. Parmi les quatorze descendants d'Adran,
d'Usul et de Valan, six étaient des médians et ils se multiplièrent
au cours des siècles.
C'est
ainsi que cette forme de société triparentale prit naissance et
évolua avec harmonie pour atteindre sa forme actuelle. Ce fut tout
d'abord un privilège, une marque de noblesse de fonder une famille
avec un médian. Pendant plusieurs générations, ceux-ci furent bien
moins nombreux que les hommes et les femmes sur Elane et la société
fut longtemps divisée en deux : d'un côté la noblesse dont le
médian était un symbole de culture et de raffinement, et de l'autre
le peuple qui continuait à se reproduire en couple, acte qui devint
vite considéré comme tout à fait primitif par les nobles.
Mais
contrairement à ce qui s'était habituellement passé dans d'autres
civilisations, la noblesse ne fut jamais renversée par une
révolution. Au contraire, ce fut le peuple tout entier qui
s'annoblit au fur et à mesure que la proportion de médians s'accrut
sur Elane, faisant complètement disparaitre les pratiques
primitives. La société se trouva nivellée par le haut et ceci
explique le quasi dégoût qu'éprouvaient les Elaniens envers la
forme de sexualité qui se pratique sur la planète Terre.
Jean
Bertellin se prit de passion pour la planète Elane et y effectua de
nombreux voyages au cours de sa carrière. Ses ouvrages scientifiques
sur le sujet sont d'une richesse inépuisable.
Durant
notre conversation sur Glacia, il évoqua aussi la liaison qu'il eut
avec Asylla, une fille de Vor Venan et un médian du nom de Noma,
mais sa pudeur l'empêcha de m'en dire plus.
Je
peux simplement vous dire qu'il qualifia les relations amoureuses
qu'il eût alors de "sensualité harmonieuse et totale... "