vendredi 4 juillet 2008

La Planète Elane


Lorsque j'ai rencontré Jean Bertellin, il était proche de la retraite et avait passé toute sa vie à voyager d'une planète à l'autre en qualité d'ethnologue intergalactique pour le compte du Centre Culturel Mondial.
La première mission que lui avait confiée le CCM, voici de nombreuses années, avait orienté toute sa carrière : elle avait consisté à étudier la vie sentimentale des habitants de la planète Elane. L'étude que Jean Bertellin ramena de ce séjour chez les Elaniens fut tellement brillante qu'il devint bientôt le célèbre spécialiste que l'on connaît.
Ses écrits scientifiques sur la vie sentimentale des extraterrestres sont lus dans l'univers tout entier, et enseignés dans la plupart des universités.
J'ai été son assistant durant la dernière étude qu'il effectua sur la planète Glacia. Le climat rude de ce monde nous obligeant à passer de longues soirées au coin du feu, j'eus la chance d'entendre le récit de la vie de Jean de sa propre bouche, et, maintenant qu'il nous a quittés, j'ai décidé de retranscrire ces récits passionnants.
Toutes les histoires que vous allez lire sont rigoureusement authentiques. Je n'ai fait que donner une forme romancée aux aventures qui se sont succédées tout le long de l'existence de cet homme admirable.
Mon but, en écrivant ces nouvelles est aussi d'apporter au profane une connaissance sur la vie sentimentale des extraterrestres sans qu'il soit obligé de se plonger dans des archives scientifiques dont le style et les termes techniques rendent souvent la lecture difficile, voire hermétique. Et je pense que la compréhension de ces extraordinaires m?urs étrangères ne peut que nous permettre de mieux comprendre notre existence terrienne.


Le vaisseau spatial de Jean Bertellin arriva sur la planète Elane avec un mois et demi de retard. Des perturbations électromagnétiques avaient bloqué l'appareil lors d'une escale au centre de la galaxie.
Jean se rongeait les sangs d'impatience tandis que le pilote dirigeait les man?uvres d'atterrissage pour poser en douceur la fusée sur la piste du spatioport car il ne savait pas ce qui l'attendait sous les nuages bas qui couvraient la planète.
Elane avait été découverte peu de temps auparavant par les grands radiotélescopes installés aux frontières de l'univers connu. Lorsque les machines signalèrent une présence de vie, les ingénieurs avaient aussitôt entamé les procédures habituelles de contact. Ces procédures apportaient en fait peu de renseignements sur la civilisation contactée. Elles se bornaient à des échanges sémantiques simples destinés à apprendre les rudiments de langage qui allaient permettre la communication.
La seconde étape consistait à envoyer en mission un ethnologue intergalactique spécialisé dans l'étude des nouvelles races extraterrestres. C'était le rôle de Jean, et son voyage vers Elane était sa première mission. Il venait d'obtenir son diplôme après douze années d'études intensives dans les meilleures universités de la Galaxie Centrale et avait aussitôt été embauché par le Centre Culturel Galactique.


Le CCM manquait de personnel qualifié car le nombre des nouvelles races découvertes par les radiotélescopes allaient en grandissant de manière exponentielle au fur et à mesure que les limites de l'univers connu étaient repoussées. C'est la raison pour laquelle il se retrouva en mission à peine quelques mois après son entrée dans l'équipe de recherche du Centre.
Ce qu'il savait de la planète Elane était très succinct. La taille du globe était pratiquement égale à celle de la Terre et son atmosphère en tout point identique. Ces renseignements étaient les premiers que les ingénieurs tentaient de récupérer afin de connaître les équipements nécessaires à la survie des missionnaires, ainsi que le coût de l'opération. Ils posaient ensuite quelques questions fondamentales sur l'organisation de cette civilisation inconnue, pour essayer de déterminer le degré de bellicosité des extraterrestres. En l'occurrence, les Elaniens semblaient tout à fait pacifistes et c'est sans doute pourquoi Jean s'était vu confier cette tâche malgré son inexpérience. La planète était dirigée par un gouvernement unique et le vaisseau spatial était en train d'amorcer sa descente vers la Capitale : Dankos. Il n'en savait pas plus.


La fusée sortit enfin du plafond nuageux et Jean découvrit la ville le c?ur battant. La beauté des couleurs lui coupa le souffle : dès le premier regard il se dégageait une harmonie magique de cette ville. Les formes des bâtiments semblaient se fondre les unes aux autres et la couleur de chaque toit semblait découler de celle du bâtiment voisin. Rien ne blessait la vue, tout n'était que rondeur et douceur. Les artères formaient des dessins géométriques dont le sens, bien sûr, lui échappait, mais égalaient en beauté les ?uvres des plus grands artistes terrestres.
Jean poussa un soupir d'aise et s'enfonça dans son fauteuil en fermant les yeux pour se préparer à la rencontre de ce peuple inconnu qui le fascinait déjà.
Il était attendu par un ambassadeur Elanien, Vor Venan, avec lequel il n'avait eu qu'un bref contact radio pour lui annoncer son retard. Celui-ci ne semblait pas avoir été offusqué de ce délai. Il l'attendait au bas de la passerelle et Jean eut aussitôt un grand élan de sympathie pour cet homme. C'était un personnage de haute stature, vêtu d'habits colorés et son visage était orné d'un sourire chaleureux. Jean nota en pensée que la morphologie des Elaniens ne semblait pas différer de celles des Terriens : la peau de Vor Venan était légèrement bleutée et ses yeux tiraient sur l'orange mais le reste de son anatomie aurait pu le faire passer pour un habitant d'un pays nordique de la Terre.
-" Bonjour Jean, je suis Vor Venan.", lui dit-il en tendant les deux mains pour saisir les siennes, "Je vous souhaite la bienvenue à Dankos."
-" Je vous remercie.", lui répondit Jean, " Je vous prie encore de m'excuser pour ce retard fâcheux. J'espère que cela n'a pas trop bouleversé votre emploi du temps."
- " Ne vous inquiétez pas pour cela. L'imprévu apporte souvent du piquant à l'existence.", lui dit Vor Venan tout en le dirigeant vers un véhicule stationné non loin de la fusée. "Ceci dit, votre arrivée coïncide avec un évènement qui fait que je ne pourrai pas m'occuper de vous aujourd'hui... : ma fille se marie ce matin et je dois partir à la cérémonie aussitôt après vous avoir déposé dans vos appartements."
- " Surtout, ne vous inquiétez pas pour moi.", lui dit Jean, " Une petite journée de repos me fera du bien après ce long voyage".
-" C'est ce que je me suis dit.", rétorqua Vor Venan en prenant place à ses cotés dans le véhicule. " J'avais tout d'abord pensé à vous inviter à la cérémonie, mais le voyage a du vous fatiguer..."
-" A vrai dire, pas du tout.", répondit Jean que l'invitation tentait, " Et je serais très honoré d'assister au mariage de votre fille, si votre proposition tient toujours".
-" Bien sûr, ce sera avec un immense plaisir, et bien allons-y." Vor Venan se tourna vers le chauffeur et lui lança " Allons directement au Temple.", puis il regarda vers Jean avec un grand sourire : " Je suis enchanté de vous compter parmi mes invités."
Le véhicule s'éleva en douceur à un mètre du sol et se mit à glisser le long des artères de la cité. Sa vitesse était très grande et Jean ne vit pas grand-chose des constructions si ce n'est le chatoiement harmonieux des couleurs.
Ils descendirent du véhicule au bas des marches du Temple. Une foule de personnes y était présente.
-"Je n'ai pas le temps de vous faire les présentations pour l'instant", lui glissa Vor Venan tout en se dirigeant vers ses invités," Le prêtre nous attend, et il doit s'impatienter. Mais ne vous sentez surtout pas coupable.", ajouta-t-il en voyant l'expression du visage de Jean, "Je suis moi-même constamment en retard."
Ils pénétrèrent tous dans le temple et la cérémonie commença aussitôt.


Une fois assis, Jean se laissa aller à la magie du lieu. Il se trouvait sous une immense coupole de vitraux multicolores. Les faisceaux du soleil d'Elane passaient au travers de ces prismes et faisaient danser des ondes de couleurs mouvantes au-dessus de leurs têtes. Le prêtre se tenait devant un autel de cristal dont les moirages changeaient continuellement. Trois personnages étaient campés devant lui : la fille de Vor Venan, son futur mari et leur témoin.
La cérémonie ne fut pas très longue et ressemblait beaucoup aux cérémonies de la plupart des religions terriennes. Ce fut une suite de prières et de chants qui résonnèrent magnifiquement sous la voûte. La dernière partie fut consacrée aux serments des époux :
-"Alia Venan, " dit le prêtre en se tournant vers la jeune femme, " Désirez-vous prendre pour époux Kar Devon ici présent ?".
Et le oui de la jeune fille résonna sous la voûte.
Le prêtre se tourna vers le jeune homme : "Kar Devon, désirez-vous prendre pour épouse Alia Venan ici présente ?"
La réponse de Kar Devon fut un oui ferme et sonore.
Jean vit alors avec stupéfaction le prêtre se tourner vers celui qu'il avait pris pour un témoin et lui poser la question suivante :
-"Don Deram, désirez-vous prendre pour couple Alia Venan et Kar Devon ici présents ?".
Et le troisième personnage répondit par l'affirmative en tournant vers le couple un regard plein d'amour. Le prêtre s'adressa alors une dernière fois aux jeunes mariés en leur disant cette phrase qui fit soudain comprendre à Jean que les Elaniens n'étaient peut-être pas si semblables aux Terriens qu'il le pensait :
-"Alia et Kar, désirez-vous prendre pour médian Don Deram ici présent ?".
Et le couple répondit : "Oui" à l'unisson.


Jean passa les jours qui suivirent à visiter la planète en compagnie de Vor Venan qui se révéla être un guide charmant et très compétent. Les deux hommes se prirent très vite d'amitié et les journées passaient vite, trop vite au goût de Jean dont la mission ne devait durer que deux mois. Certes, le but était de faire une pré-étude tout à fait générale de la planète, mais celle-ci était tellement riche en beauté que Jean s'y sentait merveilleusement à l'aise.
Vor Venan était non seulement un bon guide mais c'était aussi un hôte parfait. En effet, les appartements de Jean se trouvaient au dernier étage de la grande demeure qui abritait toute la famille Venan. Celle-ci se composait de Vor, de Sabile son épouse, de Chan leur médian et de leurs sept enfants : deux garçons, deux médians et trois filles dont l'aînée avait quitté le cocon familial le lendemain de la cérémonie de mariage.


C'était une famille unie et Jean se passionnait beaucoup plus à l'étude de leur comportement qu'à celui des richesses de la planète.
Les tâches étaient réparties entre les trois parents.
Vor, le père, était le seul à avoir un emploi. Il travaillait au Ministère des Affaires Extraterrestres et c'est dans le cadre de cette fonction qu'il gérait la visite de Jean sur la planète Elane. Lorsqu'il retrouvait sa famille, il ne s'occupait que très peu des tâches ménagères : il se réfugiait souvent dans un bureau-atelier situé sous la maison, où il créait avec passion, et un grand sens de l'art, de magnifiques sculptures de verre coloré.
Son épouse, Sabile, s'occupait essentiellement des enfants. Elle veillait sur leur santé et leur éducation avec toute l'attention d'une mère. Elle les conduisait à l'école, chez leurs amis, à des spectacles... c'était une femme tourbillonnante qui ne tenait pas en place. Elle était petite et très jolie, avec des rondeurs très féminines.
Chan, leur médian, s'occupait essentiellement de la maison et de la cuisine. Il le faisait avec beaucoup de goût : la décoration des pièces était un régal pour les yeux et la saveur de ses plats enchantait le palais.
Jean employait le genre masculin pour parler de Chan puisqu'il n'y a pas de troisième genre en français.
Car il s'agissait bien de cela : les médians n'étaient ni homme ni femme et leur physique ne pouvait pas prêter à confusion. C'étaient des êtres minces et élancés mais qui semblaient avoir une grande force. Leur peau, très claire, ne se ridait jamais, même en prenant de l'âge, et leur visage était éclairé par des yeux immenses qui paraissaient ne jamais ciller. Ils portaient tous une coiffe qui leur enserrait le crâne et aucun cheveu n'en dépassait
Mais le plus étrange chez ces êtres venait du fait que leur cou pouvait tourner à 360° ! Le jour de son arrivée, Jean pénétra dans la cuisine en compagnie de Vor qui désirait faire les présentations et lorsque Chan, qui était aux fourneaux, tourna la tête vers eux sans bouger son buste, Jean eut du mal à retenir un cri de stupéfaction.Il était toujours difficile de savoir si le médian était de dos ou de face car son vêtement était constitué d'une grande chasuble droite qui cachait sa morphologie. Mais Jean s'habitua très vite à cet être qui se déplaçait dans un glissement, comme porté par un nuage à travers les pièces de la maison. Chan avait une grande intelligence et une culture inépuisable. Il semblait deviner les moindres pensées et communiquait avec sensibilité. Ses dons artistiques ne se limitaient pas à la décoration de la maison et à la succulence de ses plats : il chantait d'une voix magnifique tout en vaquant à ses occupations. C'était un être dont la simple compagnie apportait la paix.
Jean s'entendait bien avec lui, ainsi qu'avec tout le reste de la famille. Il prenait tous ses repas avec eux et l'ambiance était chaleureuse autour de la table où les conversations allaient bon train.
-"Jean, avez-vous des enfants sur Terre ? ", lui demanda Vor Venan au cours du repas du soir, le troisième jour de sa mission.
-" Non. ", lui répondit Jean. " Fort heureusement je n'ai pas d'enfants, il me serait difficile d'avoir une vie de famille avec le métier que je fais, et l'occasion de me marier n'a pas encore croisé mon destin."
-" Oui bien sûr. ", répondit Vor en souriant. " Et comme dit le proverbe : ' Il faut être trois pour fonder une famille '. "
-" Sur Elane, il faut être trois, mais sur Terre il faut être deux car le noyau familial est composé du père, de la mère et des enfants. ", répondit Jean impulsivement.
Sa phrase fit l'effet d'une bombe et provoqua un court silence de stupéfaction autour de la table. Vor rompit ce silence en lui demandant d'une voix mal assurée :
-" Vous voulez dire que vous n'avez pas de médians sur Terre ? "
Et lorsque Jean répondit par la négative, le plus jeune des fils se leva en le montrant du doigt et en chantant avec ironie :
-" Hou le déviant ! Bou le déviant !"
Son père le fit taire avec une brutalité qui fit comprendre à Jean à quel point le sujet était sensible. Vor envoya son fils dans sa chambre et le repas se termina dans un silence poli mais glacial.


Après le repas, Vor s'excusa de l'agressivité de son fils en ces termes :
-"Je suis désolé Jean. Nous avons sympathisé tellement vite que j'en avais presque oublié que vous venez d'une planète lointaine et que vos m?urs sont certainement très éloignées des nôtres. Vous savez, je suis nouveau à ce poste de secrétaire au Ministère des Affaires Extraterrestres, et, à vrai dire, vous êtes le premier contact réel entre un habitant d'une autre planète et un Elanien." Il prit un air lamentable en disant cela, comme s'il était responsable d'un drame, et Jean tenta de le rassurer :
-" Je vous en prie Vor. Tout ceci n'est pas de votre faute. Je n'aurais jamais dû parler ainsi durant le repas, sachant cette différence entre nos deux races. Je me suis exprimé sans réfléchir et vous m'en voyez navré."
-"Mais, puisque ce sujet est abordé ", continua-t-il, " Ne pourriez-vous pas m'indiquer des ouvrages qui me renseigneraient un peu plus sur les médians ? Comme je vous l'ai dit, la race humaine se divise en deux sexes et non pas en trois comme ici et je pense qu'il faut que je ramène un minimum de documentation sur ce sujet à mon retour sur Terre."


Installé dans la bibliothèque, devant une pile d'ouvrages que Vor avait sélectionnés pour lui, Jean se félicitait que ce mini-drame ait finalement éclaté durant le repas. Il allait enfin trouver des réponses aux questions qu'il se posait depuis trois jours sur la sexualité des Elaniens.
En les observant, il avait remarqué que Vor et Sabile ne se touchaient jamais. Mais ils avaient par contre tous les deux de nombreux gestes d'affection envers Chan, des caresses, des regards. Il avait aussi remarqué qu'ils dormaient tous les trois dans la même chambre, et, sans être voyeur, il aurait bien voulu savoir ce qui se passait sous les draps du grand lit.
Ce fut un ouvrage d'anatomie qui lui apporta le début de la réponse. Jean resta sidéré pendant plusieurs minutes lorsqu'il découvrit les images du corps des médians : ceux-ci avaient deux sexes. Leur bas-ventre se terminait par un sexe de femme en tout point identique à celui des femelles terriennes, et leur postérieur était orné d'un pénis.
Jean se mit à sourire en même temps qu'il recevait cette réponse à la question qu'il se posait : ce qui se passait le soir dans la chambre, sous les draps du trio, ne faisait plus de doute. Il se surprit même à imaginer la quantité de positions possibles du kama-soutra elanien et éclata de rire dans le silence de la bibliothèque déserte. Puis il repris son sérieux et continua l'étude de l'étonnante morphologie du médian qui se trouvait sur la planche anatomique.


Il était très intrigué par le fait que les deux sexes de l'être étaient reliés par une sorte de canal. Cela se voyait très bien sur une vue en coupe. Il décida de continuer à fouiller dans les autres ouvrages que Vor avait triés pour lui afin de mieux comprendre l'étrange nature des Elaniens.
Un des livres contenait justement les conseils d'un sexologue, et c'est là que Jean trouva tous les renseignements qu'il cherchait.
Les médians portaient bien leur nom, car, en fait, ils servaient d'intermédiaire entre l'homme elanien et la femme elanienne. Le pénis du médian ne pouvait entrer en érection que lorsque son sexe féminin était pénétré. De plus, sa jouissance était complètement reliée à celle de l'homme. Le sperme était alors acheminé de son sexe féminin à son sexe masculin par les contractions du canal qui les reliait. Les spermatozoïdes aboutissaient finalement dans le vagin de la femme pour aller la féconder, de la même manière que sur Terre.


-" La nature engendre parfois de bien curieux phénomènes.", se dit Jean en rangeant les livres. Il était tard et la fatigue ne lui permettait plus de garder la lucidité nécessaire à la lecture. " Je me demande bien comment l'évolution a fait aboutir cette race.", pensa-t-il encore en montant l'escalier qui conduisait à sa chambre. Il s'endormit, la tête pleine de questions qu'il décida de poser à Vor le lendemain.


Ils se retrouvèrent justement seuls pour le petit-déjeuner. Ils avaient dû se réveiller avant toute la famille pour aller visiter une autre grande ville située au nord du pays.
-" Je vous remercie vivement pour la documentation d'hier soir. ", attaqua Jean presque aussitôt. " Ma compréhension sur votre race s'est considérablement enrichie. J'aimerais cependant vous poser une question à propos de la sexualité des Elaniens. Le puis-je ? ".
-" Mais bien sûr. ", répondit Vor, affable quoique un peu gêné, " C'est mon rôle. Je suis là pour vous informer. Quelle est cette question ? "
-" Voilà. Est-ce que tous les mammifères de la planète Elane ont le même comportement ? Je veux dire, est-ce que les animaux se reproduisent aussi par l'intermédiaire d'animaux-médians ? "
Le terme "animaux-médians" sembla terriblement choquer Vor, mais il se contint et ne l'exprima que par un haussement de sourcil et un petit raclement de gorge. Cependant cette réaction n'échappa pas à Jean qui en prit bonne note.
-" Certainement pas ! ", répondit-il un peu vivement, " C'est l'apanage des êtres supérieurs de se reproduire ainsi. Les animaux se reproduisent comme... comme...". Il hésitait à finir sa phase.
-" Comme moi, comme les Terriens. ", compléta Jean en souriant pour dissiper la gêne. " C'est vraiment étrange que la nature n'ait fait que cette exception sur Elane, vraiment étrange...", continua-t-il en se frottant la joue.
-" La nature n'y est pour rien... ", trancha Vor, mais il ne termina pas sa phrase et continua en se levant de table : " Il est l'heure de partir, je vous donnerai à notre retour un ouvrage qui vous expliquera comment nous en sommes arrivés là. Allons-y maintenant si nous ne voulons pas être en retard."


La matinée commença par un voyage éclair en train. Celui-ci, composé de longues voitures aux formes aérodynamiques, parcourut deux milles kilomètres en à peine une demi-heure. Ils descendirent à Kantang, la ville au Nord du pays qu'ils devaient visiter .
Confortablement installé dans le véhicule qui les avait attendus à la gare, Jean regardait la cité sans trop la voir. Il était absorbé dans ses pensées. Les jours passés avaient été riches en rebondissements de toutes sortes et la montagne d'informations qui assaillait ses sens à chaque instant commençait à le fatiguer. Il finit même par s'assoupir...


Ce fut une suite de sons harmonieux qui le sortit de cette somnolence. Jean ouvrit les yeux et regarda au dehors. Leur véhicule se déplaçait à faible allure en flottant au-dessus du sol et le quartier qu'il traversait ne ressemblait pas aux autres. Tout y était bien plus coloré et de la musique résonnait à chaque coin de rue. Il y régnait une atmosphère de fête qui lui fit demander à Vor :
-" Que se passe-t-il ici ? Il y a une agréable ambiance de gaieté qu'on ne voit pas ailleurs. C'est une foire ? Un marché ? "
-" Non, pas du tout. ", répondit Vor presque hilare, " Décidément, depuis hier soir le sujet ne nous lâche plus. C'est le quartier des prostitués. "
Devant l'intérêt que Jean sembla porter à cette réponse, Vor continua :
-" Voulez-vous que je demande au chauffeur de s'arrêter ? Nous sommes en avance sur l'horaire et nous pouvons faire une promenade dans le quartier si vous le désirez. "


Tout en déambulant dans les rues de ce quartier coloré, Jean remarqua que Vor ne semblait éprouver aucune gêne à se trouver dans ce lieu. Pourtant, le commerce qui y était pratiqué ne faisait pas de doute : des médians, vêtus de grandes robes aux tissus bigarrés, arpentaient les trottoirs en attendant les clients : et ces clients étaient des couples de jeunes gens que l'on voyait ensuite monter, en compagnie du prostitué médian de leur choix, dans les différents hôtels qui foisonnaient alentours. Jean s'étonna :
-" Excusez-moi de poser cette question ,Vor, mais vous ne semblez pas du tout choqué par ce qui se passe ici ?. Est-ce une pratique courante ? "
Vor eut un sourire nostalgique, comme au souvenir d'agréables moments du passé et répondit :
-" Bien sûr, c'est tout à fait courant, et toutes les villes de la planète ont un quartier comme celui-ci. Lorsqu'un jeune homme et une jeune femme tombent amoureux l'un de l'autre, c'est le seul moyen qu'ils ont pour avoir des rapports sexuels avant de trouver le médian qui partagera leur passion et les épousera. Pendant des siècles, cette pratique était illicite mais tout le monde le faisait en cachette. Maintenant les m?urs sont beaucoup plus libérales et je trouve cela très bien. C'est un quartier agréable non ? "
Jean l'approuva d'un hochement de tête. Il se sentait caressé par un bain d'euphorie. Tous les visages qui l'entouraient exprimaient un bonheur intense. Les couples déambulaient dans les rues, se reposaient à des terrasses de restaurants en écoutant de la musique, dansaient enlacés au son de petits orchestres installés çà et là. C'était léger et enivrant.
Ils marchèrent quelques temps en silence, en appréciant tous les deux cette atmosphère voluptueuse puis se retrouvèrent auprès du véhicule dans lequel ils prirent place. Ils quittèrent à regret le quartier magique et continuèrent leur périple vers des activités plus officielles.




Après une épuisante fin de journée de visites, de présentations et de cérémonies diverses, Jean goûtait le calme de la bibliothèque, la paume de la main posée sur l'ouvrage promis par Vor. Il lui avait donné après le repas, avant de se retirer dans ses appartements. C'était un livre ancien, magnifiquement relié, que l'Elanien avait déposé devant lui avec des précautions respectueuses, comme s'il s'agissait d'une Bible. Jean garda les yeux fermés pendant quelques temps pour évacuer le stress de la journée avant d'entamer la lecture.


Le livre portait le titre suivant " La vie d'Adran ". En voici le résumé :
Adran, fils de Kaloma et d'Isile, devint Roi d'Elane à la fin des périodes de grande glaciation. Il hérita du trône à la mort de son père qui avait régné avec amour sur son peuple pendant soixante-dix ans.
Adran avait quarante ans lorsqu'il monta sur le trône et il était marié depuis déjà dix-huit ans. Son mariage avait été prévu et organisé comme la coutume l'exigeait : il avait épousé une princesse de la dynastie des Morgraves ainsi que chacun de ses ancêtres l'avait fait au cours des siècles précédents. L'épouse avait été choisie par son père et ses conseillers et chaque jour Adran se demandait ce qui avait guidé leur choix. Usul, son épouse était d'une laideur tellement repoussante qu'Adran n'avait jamais pu lui faire l'amour.
Son mariage était donc stérile et c'était un grave problème car il fallait absolument un héritier mâle pour le trône.
Mais la famille d'Adran avait toujours été protégée par les maîtres du destin et ce problème d'héritier fut résolu par une sorte de miracle : l'arrivée au chateau d'un personnage hors du commun nommé Valan.
Valan avait été enrôlé comme conseiller auprès du roi Adran sur la recommandation du Cercle des Anciens. C'était un être d'une intelligence supérieure, d'une culture qui semblait inépuisable, et surtout d'une beauté étrange et magnifique. Son étrangeté venait de sa morphologie unique sur Elane : Valan était hermaphrodite. La raison de cette anatomie était malheureusement dramatique : les parents de Valan avaient été faits prisonniers pendant la cinquième guerre mondiale. Ils avaient servi de cobayes à des manipulations génétiques commandées par le dictateur fou qui régnait alors. Mais Valan était loin d'être un monstre, et, pour une fois, l'horreur avait engendré la beauté.
Adran tomba amoureux de Valan au premier regard et ils vécurent un amour passionné pendant de nombreuses années.
Mais le plus miraculeux fut que Valan tomba amoureux de la reine Usul malgré son extrême laideur, Il ne l'aimait pas pour son physique mais pour son âme qui était la bonté même.
Et petit à petit le premier trio de la planète se forma.
Valan était bien sûr le premier médian et des enfants naquirent bientôt de ce trio hors du commun. Parmi les quatorze descendants d'Adran, d'Usul et de Valan, six étaient des médians et ils se multiplièrent au cours des siècles.
C'est ainsi que cette forme de société triparentale prit naissance et évolua avec harmonie pour atteindre sa forme actuelle. Ce fut tout d'abord un privilège, une marque de noblesse de fonder une famille avec un médian. Pendant plusieurs générations, ceux-ci furent bien moins nombreux que les hommes et les femmes sur Elane et la société fut longtemps divisée en deux : d'un côté la noblesse dont le médian était un symbole de culture et de raffinement, et de l'autre le peuple qui continuait à se reproduire en couple, acte qui devint vite considéré comme tout à fait primitif par les nobles.
Mais contrairement à ce qui s'était habituellement passé dans d'autres civilisations, la noblesse ne fut jamais renversée par une révolution. Au contraire, ce fut le peuple tout entier qui s'annoblit au fur et à mesure que la proportion de médians s'accrut sur Elane, faisant complètement disparaitre les pratiques primitives. La société se trouva nivellée par le haut et ceci explique le quasi dégoût qu'éprouvaient les Elaniens envers la forme de sexualité qui se pratique sur la planète Terre.

Jean Bertellin se prit de passion pour la planète Elane et y effectua de nombreux voyages au cours de sa carrière. Ses ouvrages scientifiques sur le sujet sont d'une richesse inépuisable.
Durant notre conversation sur Glacia, il évoqua aussi la liaison qu'il eut avec Asylla, une fille de Vor Venan et un médian du nom de Noma, mais sa pudeur l'empêcha de m'en dire plus.
Je peux simplement vous dire qu'il qualifia les relations amoureuses qu'il eût alors de "sensualité harmonieuse et totale... "