mercredi 1 juillet 2009

Le Réveil

Il était encore tout endormi lorsqu'il décida de se lever. Il voulut poser le pied sur le sol et la sensation qu'il eut le réveilla tout à fait : son pied s'était enfoncé dans l'eau !
Il se pencha sur le bord du matelas, pensant être victime d'une hallucination, mais c'était bien réel...sa chambre était inondée.
-" J'ai du oublié de fermer les robinets de la baignoire.", pensa-t-il.
Il releva la tête et ce qu'il vit le laissa pétrifié sur place pendant de longues minutes. Il resta assis sur les couvertures, la bouche ouverte, incapable de faire un mouvement, incapable de raisonner, à contempler avec incrédulité ce qui l'entourait.
Il n'était plus dans sa chambre. Son lit flottait sur une immense étendue d'eau. Le soleil se levait et colorait de sa lumière rouge le haut de petites vagues. L'absence de nuages dans le ciel et le calme de la mer présageaient une journée ensoleillée. La température matinale était douce et aucune brise n'agitait son pyjama.
-" Je rêve encore ! ", pensa-t-il en se frottant les yeux. Mais la vision persistait. Il se pinça, se donna des claques, s'enfouit sous les draps, en ressortit brusquement, plongea la tête dans l'eau...peine perdue ! Tout cela était bien réel.
-" C'est impossible ! ", hurla-t-il, et le son de sa voix lui parut minuscule, aucun écho ne lui répondait.
-" Je vais me rendormir ", se dit-il. Il posa sa tête sur l'oreiller. " Comme ça, je pourrai me réveiller vraiment et oublier ce cauchemar. ". Il ferma les yeux, bien décidé à trouver le sommeil.
Au début, le clapotis des vagues l'en empêcha et il se tourna dans tous les sens pour ne plus l'entendre. Puis, petit à petit, aidé par le bercement du roulis, il se rendormit tout à fait.
Ce fut un hurlement strident qui le réveilla en sursaut.
Un nuage de mouettes tournait autour de son embarcation en poussant des cris aigus.
-" Cette fois, soit je suis fou, soit je suis passé dans une autre dimension.", se dit-il. "Bon ! Au moins, je suis vivant !"
Mais le doute l'envahit à cette pensée. Peut-être était-il mort durant la nuit ? Non ! C'était impossible ! Il était en parfaite santé et s'était couché de bonne heure la veille, après un repas tout à fait normal...
Il inspecta machinalement l'horizon, tout en réfléchissant, et aperçut quelque chose.
C'était un rivage ! Cette vue le remplit de joie. Il rassembla ses forces et se mit à pagayer avec les mains pour se rapprocher de cette côte inconnue.
Les courants étaient favorables et, peu de temps après, son lit s'échoua sur une plage.
C'était une petite crique de sable fin bordée de rochers rouges. Une forêt de pins, au-delà des rochers, l'empêchait de voir plus loin mais il distingua une petite construction de bois à l'orée des arbres. Un chemin sinueux semblait y mener et il l'emprunta.
Arrivé à mi-hauteur, il réalisa quelle était la nature de cette construction et, après un temps d'arrêt, se mit à courir.
Il y parvint tout essoufflé et constata que c'était bien réel : l'armoire de sa chambre était là, devant lui, adossée à un arbre. Il en ouvrit la porte : tous ses vêtements étaient soigneusement rangés à l'intérieur.
Après un coup d’œil circulaire, craignant que quelqu'un le surprenne tout nu dans la nature, il retira son pyjama et s'habilla. Il choisit une tenue légère, correspondant au climat, enfila de bonnes chaussures de marche, et s'enfonça dans la forêt.
Celle-ci n'était pas très dense. Elle était composée essentiellement de pins et il en conclut qu'il devait se trouver quelque part dans le Sud. Comment était-il arrivé là ? Il s'était couché la veille dans son petit pavillon de la banlieue parisienne. C'était un profond mystère.
-" Le meilleur moyen pour comprendre, c'est de marcher jusqu'à ce que je rencontre quelqu'un ", se dit-il. " Il doit bien y avoir une explication à tout ça. "
Au bout de quelques minutes de marche, il réalisa qu'il avait faim. Il avait l'habitude de prendre des petits déjeuners copieux et cet exercice matinal creusait son appétit.
Il déboucha dans une clairière.
La table de sa cuisine s'y trouvait, en plein centre, la nappe à carreaux joliment éclairée par le soleil du matin filtrant au travers des arbres. Le réfrigérateur et la cuisinière étaient solidement calés entre deux rochers, et le placard à vaisselle coincé entre les branches d'un pin. Il en ouvrit la porte et se saisit de la cafetière. Il se dirigea vers une source d'eau claire qui coulait dans un coin de la clairière et la remplit d'eau.
Il doubla sa dose habituelle de café, se disant qu'il en avait besoin, et ouvrit la bouteille de butane, sous la cuisinière, car il la fermait tous les soirs, par sécurité.
Il posa la cafetière sur le feu et entreprit de se confectionner d'énormes tartines de beurre et de confiture.
Il déjeuna tranquillement, en prenant son temps et en regardant autour de lui. Les écureuils et les oiseaux, tout d'abord effrayés par sa venue, furent vite rassurés par son calme et retournèrent à leurs occupations.
Il se surprit à soupirer de bonheur.
-" Ce n'est pas si mal, finalement. ", se dit-il en fouillant dans le tiroir de la table. Il en sortit un paquet de cigarettes, en alluma une et renversa la tête pour regarder les nuages de fumée s'envoler vers la cime des arbres.
-" Bon, ce n'est pas tout ! ", se dit-il au bout d'un moment, " Il faudrait songer à continuer l'exploration. " Il rangea la vaisselle dans le placard après l'avoir soigneusement lavée à la source et continua sa route.
La forêt n'était pas très grande et il se retrouva bientôt sur une petite route qui serpentait dans un paysage de prairies totalement désertes.
Après avoir parcouru une centaine de mètres, il découvrit sa voiture garée dans un virage, sur le bord du talus. Il s'y installa machinalement et démarra.
Pendant quelques kilomètres, le paysage ne changea pas, puis de grands rochers gris apparurent ça et là dans la plaine. Ils devinrent de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu'il roulait, et il se retrouva bientôt sur une route plus large bordée de rochers rectangulaires.
Il trouva cet endroit tout à fait effrayant et eut soudain très envie de faire demi-tour. Mais son attention fut attirée par un rocher à l'aspect familier, et il gara sa voiture.
Une inscription était gravée dans la pierre, juste au-dessus de l'entrée d'une caverne : "Secrétariat du Ministère Privé" . Il prit son courage à deux mains, poussa un soupir, pénétra dans l'obscurité de la grotte, et se retrouva dans son bureau.
Il passa la matinée à faire ce qu'il faisait d'habitude , c'est à dire pas grand chose. Il classa quelques papiers, arrosa ses plantes et fuma quelques cigarettes. A midi précise, il se levait pour aller déjeuner lorsque le téléphone sonna : "Allô ? C'est Clara ! On déjeune ensemble ? ".
-" Excusez-moi, mais je ne connais pas de Clara ", répondit-il, " Quel poste demandez vous ? "
-" Le poste 322, mais j'ai dû me tromper, excusez- moi. ", lui dit la jeune femme avant de raccrocher.
Il reposa le combiné et sortit de son bureau par la porte de derrière, celle qui donnait dans la cour de son petit restaurant habituel.
Mais ce n'était plus la cour pavée et sordide qu'il connaissait. Il se retrouvait dans un magnifique jardin au milieu duquel courait une petite rivière.
Il réalisa alors que la routine de son travail lui avait complètement fait oublier l'extraordinaire réveil qu'il avait eu, et il décida de retourner dans son bureau. Il avait l'intention de téléphoner à quelqu'un pour lui demander des explications sur tous ces phénomènes bizarres.
Mais lorsqu'il se retourna, la porte de son bureau avait disparu. En lieu et place se trouvait une terrasse de bambou sur laquelle était disposés des mets exotiques qui lui mirent l'eau à la bouche.
-" Ça alors ! ", s'écria-t-il, " Je ne sais pas qui m'offre ce cadeau, mais ce serait stupide de ne pas en profiter ! ". Il s'installa et mangea avec délice les plats savoureux qui s'offraient à lui. Les mélanges d'épices lui montèrent à la tête et ce fut dans un état d'euphorie qu'il termina son repas.
Il descendit les marches de la terrasse et se retrouva dans son bureau. Cette fois, il se cala dans son fauteuil et se saisit fermement du combiné du téléphone, bien décidé à demander des explications à quelqu'un.
Mais qui appeler ? A qui pouvait-il raconter tout ce qui venait de lui arriver ? Il n'avait pas d'amis, pas de famille, juste quelques vagues relations de travail avec lesquelles il n'échangeait que de monocordes bonjours lorsqu'ils se croisaient, par hasard dans les couloirs. Il reposa le combiné.
D'ailleurs, un énorme dossier, marqué du tampon "urgent" était arrivé pendant le déjeuner. Il l'ouvrit et se plongea dans cette fastidieuse lecture. Lorsqu'il releva la tête, au bout de quelques heures, la pendule en indiquait six. Il rangea ses affaires et se dirigea vers la porte.
Il sortit de la caverne, monta dans sa voiture et se dirigea vers la plaine. Arrivé dans le merveilleux paysage de prairies, il gara son véhicule là où il l'avait trouvé et se dirigea vers la forêt de pins.
Il n'eut aucun mal à retrouver la clairière et prépara son repas du soir en buvant un anis à l'eau. Il fit un repas frugal, comme chaque soir, qu'il termina par une tisane.
C'est en reposant la tasse sur la table qu'il aperçut une vague lueur entre les arbres. Il retira la serviette de son cou, mit la vaisselle dans la source et se dirigea de ce coté.
Une autre clairière jouxtait la cuisine. Elle était plus petite et contenait un gros rocher recouvert de mousse. Encastrée dans un arbre, une chaîne stéréo luisait de tous ses voyants. Il se réprimanda intérieurement, réalisant qu'il avait oublié de l'éteindre la veille, puis fouilla dans ses disques et en introduisit un dans la platine laser.
Il s'installa confortablement sur la mousse du rocher.
Les arbres, au fond de la clairière, s'enfoncèrent dans le sol et une immense scène s'avança, mue silencieusement par une machinerie invisible. Herbert Von Karayan le salua d'un signe de tête et il lui répondit d'un geste de la main. Le chef se retourna alors vers le grand orchestre symphonique et les accords de la cinquième de Beethoven retentirent.
Ils la jouèrent merveilleusement.
Ses mains étaient encore endolories par les applaudissements lorsqu'il se leva pour éteindre la chaîne.
Il se dirigea en baillant vers la plage, enfila son pyjama, grimpa sur son lit et le mit à flot d'un vigoureux coup de pied dans le sable.
Tout en s'éloignant du rivage, il s'enfouit la tête dans l'oreiller et s'endormit.